Comment ne pas voir dans "cette erreur de Proust", ce "43", une voix de l'inconscient qui parle ? Ou, comme l'écrit le critique italien bouleversé par sa trouvaille, et citant Proust lui-même à propos des mystères du langage, "un exemplaire entre mille de ce magnifique langage, si différent de celui que nous parlons d'habitude, et où l'émotion fait dévier ce que nous voulions dire et épanouir à la place une phrase toute autre émergée d’un lac inconnu où vivent des expressions sans rapport avec la pensée, et qui par cela même la révèlent" ? Selon Lavagetto, cet accident narratif briserait tout le stratagème proustien pour concilier la première personne et le thème homosexuel. "Un vrai défi avec un héros hétérosexuel, note Antoine Compagnon, puisque Sodome est décrit comme un monde secret, mystérieux, interdit au profane".
Pour lever ce paradoxe de représenter l'homosexualité par le truchement d’un narrateur hétérosexuel, sans que celui-ci ne soit soupçonné d'être dans "le secret de Sodome", Proust aurait fait de son narrateur un voyeur qui espionne des homosexuels depuis les coulisses. Mais par ce lapsus qui le déplace dans la chambre de Charlus, le narrateur sortirait des coulisses et, par la même occasion, du placard. "Tous les retranchements voyeuristes, permettant de parler d’homosexualité malgré un narrateur à la première personne soi-disant hétérosexuel, s’effondrent d’un coup", résume Antoine Compagnon, à propos de la thèse de Lavagetto.
C'est fascinant de voir comment, 100 ans après la mort de son auteur, l’œuvre de Marcel Proust fascine toujours autant les critiques, et génère toujours autant de travaux et d'analyses.