"comment l’emprise des stéréotypes de genre a abouti non seulement à présenter une fois de plus une image fantaisiste des différences entre hommes et femme, mais aussi à conseiller de manière profondément infondée des activités sportives différentes censément adaptées à chaque sexe."
La différence de stature entre hommes et femmes est donc très (très) loin d’être entièrement causée par la croissance plus rapide des premiers durant la puberté, comme c’est pourtant affirmé dans l’émission. En outre, celle-ci ne met la différence de stature qu’en relation avec le fait que les garçons produisent surtout de la testostérone et les filles surtout des œstrogènes, ce qui n’est pas non plus pertinent.
On remarque que si ce mythe savant, bien que présenté dans l’émission comme un fait établi, est clairement démenti par la réalité, il est en revanche parfaitement conforme à deux représentations très communes. La première est celle de la puberté vue comme « déferlement hormonal » ayant pour effet de véritablement bouleverser le fonctionnement et la structure de tout le corps (ici la croissance osseuse, ailleurs les muscles ou le cerveau – j’y reviendrai). La seconde est celle de la testostérone vue comme une sorte de potion magique, cette hormone dite masculine étant en particulier vue comme plus « puissante » que les « hormones de la femme » que seraient les œstrogènes
[...]
De plus, l’idée selon laquelle « chacun des muscles d’homme développe plus de force que les muscles de femme » est également fausse : un muscle d’homme peut parfaitement être moins puissant qu’un muscle de femme, et ce même à masses musculaires égales. [...] Je m’explique mal comment les auteur-e-s de l’émission en sont arrivé-e-s à écrire ce texte tout en recommandant « pour en savoir plus » la lecture d’un manuel de physiologie du sport qui le contredit. On peut en effet y lire qu’à poids totaux égaux, les femmes sont en moyenne « 5% à 15% moins fortes que les hommes », mais d’une part que « [c]ertaines femmes de taille moyenne sont malgré tout capables de développer des forces considérables, bien supérieures à celle d’un homme de stature moyenne », et d’autre part que « si on rapporte la force développée à une même masse musculaire, on ne note pas de différence entre les deux sexes ».
Encore une couche :
Un autre facteur important est le type de pratique physique, car si l’entraînement de force ou en résistance (typiquement effectué en soulevant des poids) stimule nettement la synthèse de protéines, conduisant à une hypertrophie des fibres musculaires ou à une limitation de leur atrophie avec l’âge, ça n’est pas le cas de l’entraînement en endurance (typiquement effectué en pratiquant… un sport d’endurance). Or si le premier type d’activité est bien plus répandu et culturellement favorisé chez les hommes que chez les femmes (surtout lorsqu’il développe les muscles du haut du corps de manière visible…), le second est jugé dans nos sociétés mieux convenir aux femmes, ce que l’émission ne manque d’ailleurs pas d’asséner. Il semble par ailleurs que l’entraînement en vitesse, particulièrement lorsque les contractions musculaires effectuées sont excentriques (associées à un étirement du muscle), provoque une plus grande hypertrophie que l’entraînement en lenteur. Or les sports « explosifs » sont justement ceux que l’émission recommande aux hommes et non aux femmes, encore une fois par ce qu’ils seraient censés mieux leur convenir. Par ailleurs, l’hypertrophie d’un muscle peut être causée soit par l’hypertrophie des fibres qui le composent, soit par l’augmentation du nombre de fibres. D’après Kenney et al. 2015, ce phénomène a par exemple été observé dans les biceps de certains sujets soumis à un entraînement en résistance intensif : il semble que soumettre les fibres musculaires à des efforts particulièrement intenses peut les faire se scinder en deux, chaque moitié devenant une fibre fonctionnelle pouvant atteindre la taille de la fibre initiale. Par conséquent, le potentiel d’hypertrophie musculaire pourrait être davantage augmenté chez les hommes dans la mesure où ils s’exposent davantage à des efforts très intenses. Enfin, il faut savoir que la force maximale développée par un muscle ne dépend pas que de sa taille, mais aussi du fonctionnement des motoneurones qui pilotent sa contraction, or l’entraînement peut largement modifier celui-ci de telle sorte que le muscle développe davantage de force même à masse égale. Ainsi, il a été montré que pendant les huit premières semaines au moins d’un entraînement en résistance, les gains de force (qui peuvent être considérables) sont obtenus principalement grâce à cette modification, et non grâce à l’hypertrophie musculaire.
Oh, et puis ça aussi :
Leur représentation en images de synthèse, pour commencer, est en revanche erronée. En effet, pour produire de l’énergie, les fibres lentes utilisent surtout le métabolisme aérobie, c’est-à-dire l’oxydation d’un substrat énergétique (glucose, acides gras ou à défaut acides aminés), ce qui nécessite un apport d’oxygène. Celui-ci est assuré dans les fibres musculaires par la myoglobine, jouant le même rôle que l’hémoglobine dans le sang et comme elle rouge. Riches en myoglobine, les fibres lentes sont donc rouges. Les fibres rapides utilisent quant à elles surtout la glycolyse anaérobie, une dégradation du glucose qui n’utilise pas d’oxygène. De ce fait, elles sont pauvres en myoglobine, d’où une couleur rose pâle ou blanche. C’est la dominance de tel ou tel type de fibre selon l’espèce et le muscle dont provient une viande qui fait qu’elle est plus ou moins rouge ou blanche. On remarque que ces couleurs (ou les sexes) ont été inversées dans les images de synthèse censées représenter les muscles « d’homme » et « de femme ». Peut-être a-t-il paru plus logique aux concepteur/ices des illustrations d’associer aux hommes la couleur de la viande rouge et aux femmes le rose pâle : les biais induits par les stéréotypes de genre se nichent parfois dans des recoins inattendus…
Où vont se nicher les stéréotypes quand même...