Bon, c'est du porn administratif, mais je vais tenter d'être didactique.
Dans un discours prononcé à Paris le 29 août 2014, le 1er Ministre d'alors a déclaré, à propos d'un dispositif d'encadrement des loyers, qu'il serait mis en place de façon expérimentale à Paris, compte tenu de sa complexité, puis a déclaré 2 jours plus tard qu'il en serait de même pour Lille, et que pour l'étendre aux autres agglomération, on ferait d'abord un bilan et pis on verrait bien.
En quoi cette déclaration pose t-elle problème ? Comme l'expose le deuxième considérant de cette décision, l'article 17 de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR) prévoit la création d'un "observatoire local des loyers" dans les zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants pour lesquelles il existe (je fais court) un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logement. Il précise en outre qu'un décret fixe la liste des communes comprises dans ces zones.
Et donc ? Tu vas nous emmerder longtemps avec tes zones urbaines de 50 000 habitants déséquilibrées ? Attendez, on y arrive.
En déclarant qu'il n'allait pas appliquer la loi telle qu'elle avait été votée, mais en prenant l'initiative :
1/ d'en limiter l'exécution à Paris et Lille ;
2/ de subordonner l'application aux autres agglomérations à la mise en œuvre d'un "bilan"
l'une et l'autre de ces dispositions n'étant nullement prévues par la loi ALUR, le 1er ministre, chef du pouvoir réglementaire, méconnait un principe essentiel posé par les articles 34 et 37 de la Constitution : la délimitation des domaines de la loi et du règlement. L'article 34 donne une liste limitative des domaines d'intervention de la loi, et l'article 37 dit que tout le reste est du domaine du règlement. C'est du niveau de la première année de DEUG de droit.
Pour faire court, le pouvoir réglementaire, s'exprimant par la bouche de son chef, a été piétiner les plates-bandes de la loi. C'est un cas d'école classique.
Ce qui fait tout l'intérêt de cette décision, c'est que la décision du 1er Ministre a été, je reprends les termes du Conseil d’État, "révélée par ses déclarations des 29 et 31 août 2014", et que le CE considère, sans qu'il soit besoin d'autres actes, que cette seule parole suffit pour lui conférer le caractère d'une décision faisant grief. (En droit administratif, la définition de la décision administrative est quasiment récursive : une décision administrative est un acte faisant grief (ce que l'on pourrait traduire par "qui a des conséquences sur quelqu'un ou quelque chose") ; un acte faisant grief est une décision administrative).
Le Conseil d’État parle de "droit souple":
Le Conseil d’État accepte d’être saisi de recours en annulation contre des actes de droit souple, tels que des communiqués de presse ou des prises de position d’autorités publiques
Ce n'est pas une innovation, le cas s'étant déjà présenté avant, mais c'est la première fois que ce type de recours est accepté contre les propos d'un Premier Ministre.
via https://twitter.com/VincentGranier/status/842292368158162944