C’est une plongée dans la presse de 1928 pour « sentir » l’atmosphère de l’époque.
C’est édifiant : on perçoit le lent glissement vers l’autoritarisme.
On le perçoit mieux avec le recul : Pourquoi ne le voit-on pas aujourd’hui ?
Aujourd’hui, en tant qu’historienne et conseillère scientifique pour le musée de la résistance du Mont-Mouchet en Haute-Loire, elle estime que le devoir de mémoire a quelque part failli. Elle explique : “À Oradour-sur-Glane, l’extrême droite a récolté plus de 40% des voix. En tant qu’historienne, j’ai l’impression que nous sommes dans une amnésie collective. Quand vous voulez alerter, vous passez pour un trouble-fête. On met sous le tapis ce qui dérange. Et à force de mettre sous le tapis cela, un beau jour la poussière sort et vous étouffe”.
Elle poursuit : “La France de Pétain, c’était il y a 80 ans. C’est une absence de culture historique dont nous sommes peut-être collectivement responsables. Cette Histoire ne parle plus aux gens. On a beau faire des documentaires pour expliquer que des partis politiques ont emmené des gens dans des camps de concentration, tout cela ne parle plus. L’Histoire devient un grand spectacle. La commémoration du Débarquement est devenue un grand spectacle festif. Les 80 ans de la Libération sont devenus un carnaval déguisé où l’on joue à la guéguerre. Par conséquent, il y a une banalisation de tout cela”.
J'aime beaucoup ce genre d'analyse qui déconstruit un peu quelques mythes : les nazis étaient des ordures, pas des abrutis, et les opérations d'intox n'ont fonctionnées qu'à la marge - avec toutefois comme résultat de plonger l'adversaire dans l'expectative : le débarquement aura lieu, mais où et quand ?
EDIT : juste une remarque sur la fin de l'interview, sur l'adhésion des allemands au régime nazi, et sur les "apolitiques", plus ou moins partisans du régime, mais qui suivent le "régime en place". Déjà, il y a une contradiction dans les termes, ce qui tend à démontrer que l'apolitique n'existe pas.
Ensuite, cela n'a rien d'étonnant : pour les conscrits nés à la fin des années 20, ils n'ont connu que le nazisme.
Le Commando Kieffer est le seul bataillon français du jour du débarquement. Cela suffit presque à fabriquer une légende en soi. Cette unité porte le fameux béret vert, ils sont jeunes, ils ont rejoint la France libre et ont été formés dans un camp d’entrainement en Ecosse pour mener des actions coup de poing. Le commando Kieffer fait œuvre de compensation et lave la honte de Vichy. Le courage de ses hommes est rendu célèbre dans le film Le Jour le plus long avec John Wayne en 1962. Enfin, un hommage public, un peu de notoriété, diront certains ! Car du côté de l’État français et de l’armée, l’histoire du Commando Kieffer nous dévoile un oubli bien français. Journaux intimes et archives familiales font enfin parler la grande muette, mal à l’aise avec ces hommes, la plupart engagés volontaires dans la France libre, non militaires de carrière, parfois indisciplinés, engagés sous le sceau du secret à défendre la nation.
J'avoue piteusement ignorer cette histoire.
En revanche, dois-je vraiment avouer que l'ingratitude de la mère patrie ne me surprend guère ?
EDIT : autres liens :
https://www.france24.com/fr/france/20240528-d%C3%A9barquement-en-normandie-les-177-du-commando-kieffer-ont-tous-retrouv%C3%A9-un-visage
https://www.lunion.fr/id605249/article/2024-06-02/lentretien-du-dimanche-les-hommes-du-commando-kieffer-etaient-des-gens-tres
Le corps expéditionnaire français, fort de quelque 15 000 hommes de nombreuses nationalités, avait sous-estimé la puissance de feu de ses ennemis, nourrie par l'installation, sur les collines surplombant le camp retranché, de canons transportés en pièces détachées sur des centaines de kilomètres dans la jungle, parfois à vélo.
Alors les "nombreuses nationalités", c'était les enrôlés des colonies hein, notamment sénégalais et algériens. Des colonisés pour aller foutre sur la gueule d'autres colonisés, et se faire massacrer pour un pays qui n'était pas le leur, dans un conflit où ils n'avaient absolument rien à gagner. Je ne dis pas qu'il n'y avait aucun blancs de métropole (mon grand-père y était, il a eu la "chance" -il a failli crever- de chopper un truc et d'être rapatrié avant Dien Bien Phu ; je regrette qu'il soir mort si jeune, je n'ai jamais pu en parler avec lui - notez qu'il n'aurait peut-être pas voulu), mais le gros de la troupe, c'était des colonisés.
Pour la sous-estimation de l'adversaire et la grossière erreur stratégique, je vous renvoie au livre d'Eric Vuillard cité ici : des gradés hautains qui méprisaient autant leurs troupes que l'adversaire. Ils sont toujours là, et quand ce sera à refaire ils referont tout pareil.
Cependant, Eric Vuillard a souhaité attirer notre regard sur les financiers qui tirent profit de la guerre. L’Indochine, colonisée au XIXème siècle, dispose d’importantes plantations d’hévéa (ingrédient essentiel du caoutchouc), mais aussi de riz ou de ver à soie. Ainsi, pendant que les soldats français se font massacrer dans la jungle, les investisseurs de la Banque privée française d’Indochine en profitent pour spéculer sur la défaite en rapatriant les avoirs, pour s’enrichir grâce à l’effort de guerre. D’un ton inspirant désillusion, dégoût et ironie, Eric Vuillard raconte les collusions politiques d’une Quatrième République chancelante, mais aussi les sabrages de champagne des investisseurs devant les dividendes qui explosent d’année en année malgré la défaite imminente des armées françaises. Cette situation hallucinante est également mise en scène par Pierre Lemaitre dans son roman Le Grand Monde qui situe une partie de son action en Indochine.
Je n'aurais qu'un reproche à faire cet article : ce livre d'Eric Vuillard, comme la plupart de ses livres d'ailleurs, est plutôt un récit qu'un roman. Il donne à voir, c'est à peine s'il comble certains vides : tout est vrai. J'ai lu celui-ci sur la guerre d'Indochine, et l'article que je cite retranscrit bien le cynisme qui transpire de toute cette catastrophe. Colonialisme et recherche effrénée du profit, racisme, incompétence crasse de militaires qui n'ont pas gagné une seule guerre depuis Napoléon... franchement, c'est à lire si vous ne connaissez rien à la guerre d’Indochine, car c'est un condensé de cette période, qui se lit de fait comme un roman.
Du même genre et du même auteur, je ne saurais trop vous conseiller de lire Congo et L'ordre du jour, le premier sur le Congo du temps ou il était la propriété personnelle du roi des belges -et c'est aussi atroce que ce que vous imaginez- et le second s'articulant en deux parties, juste avant la prise de pouvoir par les nazis et juste après la chute du Troisième Reich ; le récit montre comment le monde des affaires a soutenu Hitler, comment les industriels ont utilisé les déportés comme main d’œuvre (on le voit aussi dans Les Bienveillantes de Littell),comment les autrichiens ont accueillis les nazis à bras ouverts en 1938, comment les européens ont laissé faire... Je crois que c'est dans ce livre qu'il y a une phrase terrible, il me semble que c'est un témoignage lors du procès de Nuremberg, où je ne sais plus quel dignitaire nazi explique qu'ils avaient très peur d'être écrasés à ce moment là car il étaient vulnérables.
Pourquoi les espagnols portent-ils deux noms de famille ?
Et est-ce que c'est toujours le nom du père qui gagne ? (Spoiler : non)
Une petite animation de l'émission Karambolage (Arte) pour tout savoir en quelques minutes !
Je ne prétends pas à une recension exhaustive, j'ai juste cherché de ci de là, pour oublier le sentiment nauséeux né du visionnage de la cérémonie d'hommage national avec pas mal de gens sincères, et pas mal de personnes qui semblaient juste là pour être vues.
1/ 1977 : procès Patrick Henry
Je me souviens de ce jour de la plaidoirie. Il était livide. Il avait beaucoup maigri. Robert Badinter a fait une plaidoirie sur lui aussi, mais surtout sur la peine de mort, avec des mots particulièrement forts. « On prend un homme et on le coupe en deux ». Puis cette espèce d'adresse qu'il a eue à l'égard des jurés à la fin de sa plaidoirie, en les désignant en chacun du doigt, c'était terrible. Et en leur disant : « Vous savez, un jour, la peine de mort sera abolie en France. Si vous dites à vos enfants ou à vos petits-enfants: un jour, j'ai voté la mort d'un homme, alors vous verrez leur regard. »
2/ 1981 : abolition de la peine de mort
La question ne se pose pas, et nous le savons tous, en termes de dissuasion ou de technique répressive, mais en termes politiques et surtout de choix moral. (...)
Voici la première évidence: dans les pays de liberté, l'abolition est presque partout la règle; dans les pays où règne la dictature, la peine de mort est partout pratiquée.
Ce partage du monde ne résulte pas d'une simple coïncidence, mais exprime une corrélation. La vraie signification politique de la peine de mort, c'est bien qu'elle procède de l'idée que l’État a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui retirer la vie. C'est par là que la peine de mort s'inscrit dans les systèmes totalitaires.
3/ 2007 : Le discours historique de Robert Badinter face à Robert Faurisson ("les faussaires de l'Histoire")
L'émotion dans sa voix, sa colère réelle, ça vous tord le bide.
Jusqu'à la fin de mes jours, tant que j'aurai un souffle, je me battrai contre vous et vos semblables
4/ 2011 : une interview sur TV5 monde : Il faut stopper le débat sur l'Islam
La République, je le rappelle, elle ne connait que des citoyens sans aucune distinction de sexe, de race, de religion, d'opinion, d'orientation sexuelle
L'avis de Nota Bene sur le Napoléon de Ridley Scott : bah c'est nul. Mais ça, c'est la toute fin de la vidéo.
Tout le reste du temps, il fait une critique très intéressante sur les limites de la fiction :
Est-ce qu'on peut tout se permettre juste parce que c'est une fiction ? Eh ben évidemment la réponse est oui.
mais :
ce n'est pas parce que c'est une fiction que les historiens doivent se priver de faire de commenter un film [...] qui est historique.
[...]
balayer leur travail [...] vient alimenter la défiance qu'une partie du public peut avoir envers les historiens.
[...]
le récit de Scott c'est le récit de la propagande anglaise [du XIXème siècle].
Oh, ça a l'air intéressant ça. Noté.
Réunissant plus de deux cents cinquante chercheuses et chercheurs issus du monde entier, ce livre nous invite à regarder la colonisation française en face, avec les yeux des colonisés et des colonisateurs. Les meilleurs spécialistes mettent à notre disposition une connaissance profondément renouvelée de la domination coloniale, de ses formes parfois surprenantes, de ses effets dévastateurs, de ses limites longtemps ignorées, ainsi que de ses rémanences actuelles.
Dans une époque tout entière dominée par les questionnements identitaires et les affrontements mémoriels, ce livre collectif restitue de manière lucide, accessible et passionnante, la grande diversité et la complexité des situations coloniales en Afrique, en Asie, en Océanie et dans les Amériques.
De la colonisation est née une histoire à la fois riche et violente, tissée d’innombrables échanges, qui fait de nous ce que nous sommes. Colonisés et colonisateurs ont été à la fois liés et transformés à jamais par cette expérience qui retrouve ici toute sa place – à bien des égards centrale – dans l’histoire de France.
Pour déjouer les évidences et répondre aux interrogations contemporaines, cet ouvrage part du présent et remonte le fil du temps jusqu’aux sources méconnues du passé dit « précolonial ». En inscrivant le fait colonial français dans le temps long – du XXIe au XVe siècle – des relations entre la France et le reste du monde, cette histoire globale en appréhende les continuités, les ruptures et les singularités. Ainsi peut-être comprendrons-nous mieux qui nous sommes.
TIL : Il y a eu un pseudo-tour de France en 1942, et ça n'a pas été très reluisant.
Mais, organisée à la hâte, basée sur des données approximatives et improvisée tout au long du parcours, la course tant attendue vire au fiasco : retards délirants obligeant les coureurs à rouler la nuit ; concurrents perdus dans l’obscurité ; une étape raccourcie de moitié, une autre où la ligne d’arrivée est déplacée ; pire encore, un directeur de course qui embarque un coureur retardé sur une moto de l’organisation pour lui faire rattraper son retard… ou qui en menace un autre s’il refuse de participer à la course.
Une chaine Youtube intitulée “je révise avec toi” propose toute une série de vidéos problématiques par leur manière de raconter l’histoire. Marquées par un penchant pour le roman national, elles proposent une lecture biaisée voire erronée de l’histoire déconnectée des avancées de la recherche scientifique.
Vigilance donc, si vous pensez montrer des vidéos de vulgarisation historique à vos enfants (ou les regarder vous mêmes).
Après près de cinq siècles de mystère et plusieurs mois d’enquête et d’analyse, une équipe multidisciplinaire de quatre chercheurs en informatique et en histoire, vient de lever le voile sur les mystères qui entouraient une lettre chiffrée de Charles Quint, hébergée à la Bibliothèque Stanislas. C'est une découverte inédite et un témoignage exceptionnel de la situation en Europe au XVIe siècle, dévoilés à la presse nationale le 23 novembre.
Je ne dis pas qu'on devrait embaucher Charles Quint à l'ANSSI, mais il était quand même fortiche en crypto : on a mis 5 siècles pour casser son code !
Le dossier de presse est superbe, plein d'explications et de cartes : top !
C'était bien Twitter quand même (oui, dans ma tête, c'est déjà mort), surtout pour des choses comme ça : le témoignage du grand-père évadé du stalag en 1943. L'histoire par celui qui l'a vécue : au retour, en 1944, il écrira toute son aventure, avec cartes et dessins inclus.
Connaissez-vous le Triangle de Yacuiba ?
J'adore ce genre de thread.
Pourquoi n'a t'ont pas retrouvé de corps sur le site de la bataille de Waterloo ?
D'après cet historien ils auraient probablement été déterrés dès les années 1820... pour transformer les ossements en engrais.
La célèbre image du soldat républicain pendant la guerre civile espagnole serait un bidonnage (ce qui n'a rien de révoltant en soi ; ce qui est intéressant, c'est d'étudier comment on en est arrivé à en faire un élément de "vérité").
Roger Frey, ministre de l'Intérieur, le 9 février 1962 : "Des groupes organisés, de véritables émeutiers, armés de manches de pioche, de boulons, de morceaux de grilles, de pavés, d'outils divers ont attaqué le service d'ordre, en particulier boulevard Beaumarchais, rue de Charonne et rue de Turenne. Aucune manifestation qui trouble l'ordre public ne peut constituer un soutien. Bien au contraire. Elle représente alors un élément de la subversion même, en exacerbant les passions et en empêchant surtout les forces de l'ordre de remplir leur mission."
Michel Debré, premier ministre, le 12 février 1962 commente ainsi l'événement : "Il n'y a point d'État si la première mission dont il est chargé, c'est à dire l'ordre public, n'est pas respectée."
Michel Debré a même félicité le préfet de police, Maurice Papon, quelques jours plus tard pour sa fermeté. Les policiers auteurs des violences n'ont jamais été sanctionnés. Un début d'enquête a été amorcé : des auditions de la police judiciaire, des convocations chez un juge d'instruction. Mais devant les protestations des policiers impliqués, le juge a été déplacé et l'enquête s'est arrêtée.
C'est fascinant de voir comment les mensonges et les dénis de justice d'hier rejoignent ceux d'aujourd'hui...