Épinglés par les fans, signalés par plusieurs médias, des tombereaux de critiques et injures au racisme plus ou moins dissimulé visent l’apprentie chanteuse, pourtant régulièrement en tête du classement des professeurs. Prime après prime, sur Facebook, X ou TikTok, un front d’internautes émergent pour lui reprocher, pour les plus subtils, de « jouer la diva », d’être « très hautaine, prétentieuse », « imbue de sa personne », « pas sincère » ou d’avoir « un ego surdimensionné ». Des commentaires souvent assortis d’un soutien affiché à l’autre favorite de la compétition, Marine, blonde rigolarde qui anime les séquences au château de son accent chti et déploie sa voix puissante lors des shows du samedi soir.
Mais d’autres internautes ne s’embarrassent pas de circonvolutions quand ils ciblent Ebony et il n’y a alors plus aucun doute : on est là bien loin des préoccupations musicales. Exemple : « Votez tout, sauf pour le macaque », « Je ne veux plus la voir cette guenon », deux phrases relevées par la chaîne Guadeloupe la 1ère.
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Trop affirmée, trop arrogante, dansant de façon trop sensuelle, chantant trop fort, voire trop bien selon certain·es… La personnalité d’Ebony est ciblée par des attaques qui cochent toutes les cases de ce que l’on appelle la « misogynoir », qui a visé nombre d’autres artistes et personnalités avant elle.
« Si elle est aussi maltraitée, c’est qu’elle est à la frontière de plusieurs identités : jeune, femme et noire, développe la sociologue des médias Marie-France Malonga, spécialiste des représentations des minorités. C’est le principe même de la misogynoir. Comme si on se permettait d’aller plus loin dans la haine à cause de cette addition d’identités. C’est la même chose que subit Aya Nakamura. Tout est occasion pour déverser sa haine et, quoi qu’elle fasse, elle fera l’objet de rejet, elle sera un punching-ball numérique. »
Le fait que la jeune femme assume de défendre son identité renforce malheureusement cette haine, souligne l’universitaire : « Ce qui doit déranger chez Ebony, c’est qu’elle n’offre pas la représentation de la femme soumise et qu’elle porte une revendication de ce qu’elle est. Et encore, une revendication qui reste, je crois, très raisonnable. »
Le concept a pourtant trente ans maintenant, puisqu’il remonte à un article de 1989 de Kimberley Crenshaw, une juriste américaine, noire, qui s’inscrit dans le mouvement du black feminism aux Etats-Unis. Professeure de droit à UCLA, et à Columbia University, Crenshaw endosse dans cet article de 1989 une approche critique de la lutte traditionnelle contre les discriminations. Elle entend montrer en quoi les femmes noires sont au fond au moins deux fois victimes (en tant que noires, et en tant que femmes), et peinent à faire reconnaître par la justice les multiples discriminations à l’emploi qu’elles subissent, et qui parfois se renforcent (parce que noires et parce que femmes).
A l’origine, c’est ce point aveugle du droit que vise l’intersectionnalité. Aujourd’hui, il recoupe largement l’idée de ce qu’on appelle "la convergence des luttes" dans le champ militant, en vantant une approche plurielle de la domination pour dire que les discriminations sont multiples, et qu’elles peuvent tenir ensemble (mais pas toujours) le genre, la classe sociale, la race, ou encore l’orientation sexuelle, la religion ou le handicap.