‒ […] En fait, je ne fais pas partie des gens qui pensent que c'était mieux avant. Mais pas du tout. Je me souviens… Cette France de mon enfance [années 60-70], j'y suis attaché parce que c'était le territoire de mes rêves, dans mon enfance, mais la France réelle de mon enfance, celle qui, précisément, me faisait m'évader dans le rêve, cette France-là n'était pas extraordinaire du tout, elle était dure, aux femmes, aux Bretons, aux Arabes, aux esprits libres de manière générale, les barrières de classe étaient beaucoup plus solides que maintenant, et énormément de choses, même sur le plan intellectuel, enfin, quand je faisais mes études, 30 % des électeurs étaient en réalité adeptes de l'URSS de Staline, quand Simon Leys publiait, il se faisait étriller comme agent de la CIA en une du Monde, les gens adoraient le génocide cambodgien et vantaient les charmes de Pol Pot, et si vous étiez d'un avis un peu différent, vous étiez un fasciste, tout de suite, donc moi j'ai l'impression d'avoir vécu mon enfance et ma jeunesse [années 60-70] dans un pays effarant et plombé. Ceux qu'étaient pas effarants et plombés, c'était les ministres pompidoliens dont on se demandait s'ils ne touchaient pas tous plus ou moins sur la construction de l'auditorium Tartemolle ou des nouvelles halles de Paris, vous voyez ? Donc l'idée, maintenant, que je vois se répandre chez les gens qu'ont l'âge d'être mes enfants qu'il existait un âge d'or quand j'étais jeune est juste surprenante. […] On souffre d'abord de son propre pays […] avant de souffrir d'autres choses, et je pense qu'un esprit sensible souffre de son pays à toutes les époques, et souffre de son temps à toutes les époques.
Décidément, j'aime beaucoup François Sureau
François Sureau (l'idole de ce Shaarli) a été élu à l'Académie Française (je l'ignorais), à la place laissée vacante suite au décès de Max Gallo (j'avais oublié) ; son discours de réception, comme il fallait s'y attendre, est une magistrale baffe dans la gueule au "stagiaire de l'Elysée", mais pas seulement, c'est toute la politique menée ces vingt dernières années qui en prend pour son grade, sous l"œil hélas impavide des autres académiciens (mais écoutent-ils seulement ?).
Le texte complet du discours est à lire / télécharger sur le site de l'Académie.
via (°m
Que pense-t-il du discours très martial de l'exécutif depuis deux semaines ? "J’ai personnellement toujours eu beaucoup de mal avec les rhétoriques du rassemblement : la qualité de la démocratie consiste à civiliser les divisions, à les faire rentrer dans un cadre acceptable qui sert une aventure commune. Le rassemblement, dans l’Histoire, on en a eu des preuves particulièrement sinistres. Je voudrais qu’on en sorte plus civilisés, pas nécessairement tous d’accord ou rassemblés."
[...]
Les Français ne sont pas un troupeau de moutons ou une garderie d’enfants. Ils n’ont pas nécessairement besoin d’être d’abord protégés ou rassurés, ils ont besoin d’une autorité politique qui leur disent la vérité, et qui les traite comme des citoyens adultes.
[...]
Ce genre de choses est acceptable en période de pandémie, mais pour en sortir ça suppose une conscience civique et une force morale chez les dirigeants, dont je ne les crois pas nécessairement capables.
François Sureau, déjà multi-évoqué dans ce Shaarli.
@Maitre_Eolas sur Twitter, via Riff sur Mastodon :
Ce qui compte, c'est ce que dit la loi. Et oui, la loi sanctionne quiconque entre dans un lycée sans être élève ou prof. On vous a vendu un texte pour défendre vos enfants, on l'utilise pour poursuivre pénalement vos enfants, pour les ficher, pour les priver de liberté 48h.
Et ça vaut pour TOUS LES TEXTES. Y compris ceux que depuis 2012 on vous vend au nom de la lutte contre le terrorisme. Regardez le texte sur l'accès aux téléphone chiffrés. Voté par une loi antiterroriste, jamais utilisée dans un dossier terroriste, on le sort pour du droit commun
Maintenant, réfléchissez à cela : on a sorti le droit de l'état d'urgence pour le placer dans le droit commun. Ces mesures sont applicables même en dehors des cas de terrorisme. Vous vous sentez toujours à l'abri sous prétexte que vous n'avez rien à vous reprocher? Vous avez tort
Désormais, vous ne pouvez vous sentir à l'abri que si le gouvernement n'a rien à vous reprocher. Vous comprenez pourquoi les avocats gueulaient, à l'époque. Mais on nous a traité de droitdelhommistes angéliques et c'est passé.
Bon appétit, chers compatriotes. Dégustez bien la soupe amère que vous avez laissé concocter. Et le jour où ce sera votre tour, gardez le silence. Vous l'avez fort bien fait jusqu'ici.
Si vous n'avez pas une boule dans la gorge, c'est que vous avez lu trop vite (ou que vous êtes cons, et là, franchement, je vous envie. Bienheureux les pauvres d'esprit comme disait l'Autre).
Ce que dit Eolas dans ces quelques lignes, c'est EXACTEMENT ce que j'ai entendu pas plus tard qu'hier dans le podcast d'août 2017 de La grande table (France culture) où l'invité était Me Sureau,
avocat au conseil d’Etat et à la cour de cassation, représentant de la LDH [...] Auteur de « Pour la liberté » aux éditions Tallandier.
Le livre reprend ses plaidoiries en QPC devant le Conseil Constitutionnel :
Face à la menace djihadiste, la tentation est grande pour le pouvoir de piétiner les libertés fondamentales. Comme avocat représentant la Ligue des droits de l’homme, François Sureau a plaidé à trois reprises devant le Conseil constitutionnel la non-conformité à notre Constitution de dispositions législatives relatives à l’état d’urgence : la première pénalisait la consultation de sites terroristes, la seconde créait un « délit d’entreprise individuelle terroriste », la troisième entravait la liberté d’aller et venir.
À trois reprises, il a gagné.
(Extrait du site des éditions Tallandier)
Il a gagné ? On a perdu quand même. Parce que ce qu'il craignait dans ses plaidoiries et qu'il avait admirablement résumé à l'antenne est en train de se réaliser : toutes ces lois exorbitantes du droit commun, que l'on vote depuis l e début des années 2000, avec un affolement, un emballement hallucinant en France depuis 2015, elles ne disent pas expréssement qu'elles visent les "terroristes islamistes" (comme d'autres lois du début du siècle dernier visaient expréssement les anarchistes radicaux) ; non, ces lois s'appliquent à tout le monde.
Ecoutez cette émission, ça m'évitera de redire en moins bien ce qu'il expose de manière absolument parfaite en quelques dizaines de minutes. Même les contradictions des journalistes sont intéressantes, en ce qu'elles lui permettent de préciser son propos avec des cas concrets.
Ecoutez. Ecoutez bien.
Et tirez-en les conclusions qui s'imposent.
Invité François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la cour de cassation, représentant de la Ligue des droits de l'Homme, également écrivain, essayiste, vous publiez aujourd'hui "Pour la liberté", chez Tallandier, avec un avant-propos où vous ne négociez pas, ni avec le sens des mots, ni avec celui du droit : « notre système de droit n'a pas été fait seulement pour les temps calmes, mais pour tous les temps ». Voilà pour l'idée directrice de cette réflexion des grands principes aux cas pratiques, et il vous a fallu convaincre votre auditoire de l'importance de répondre au terrorisme sans perdre la raison, sous-titre de votre essai, qui rassemble trois plaidoiries, que vous avez prononcées devant le Conseil Constitutionnel, en défense des libertés publiques. Trois montées à la barre entre janvier et mai de cette année pour dénoncer la non-conformité à la constitution de disposition législatives contenues dans l'état d'urgence, et par certains aspects, écrivez-vous, nous serions selon vous, dans un univers pré-totalitaire.
C'est moi qui graisse.
C'est pas comme si on le disait sur tous les tons -en se faisant traiter d'islamo-gauchistes hystériques- depuis quelques temps, hein.
J'aime les articles qui me donnent envie de lire le livre dont ils traitent, ce n'est pas si souvent.
"Une chose est sûre : celui-là est bien un écrivain qui ne place rien au-dessus de la littérature. Sans ses outrances, pas de fulgurances. Il est bien la somme des violences de toutes natures qu’il a subies. Naissance, on peut en dire ce qu’on veut, mais consacrer l’essentiel de son jugement critique à son poids dans le sac de plage et son encombrement au lit, comme on a entendu certaines le faire au Masque et à la plume, est un signe de plus de la décadence de ce métier. La folie à l’œuvre dans ce livre magnifique et saoulant exige une lecture aussi déraisonnable qu’elle."
Par ailleurs, cet article aborde -pour le rejeter d'un revers de clavier- la question de la longueur du livre : un livre n'est pas bon ou mauvais parce qu'il est court ou long. Il est d'abord bon ou mauvais. La taille ne compte pas tellement, ou alors, elle fait partie des caractéristiques du livre, qui sera ainsi plus ou moins ramassé ou plus moins "fou" selon si l’auteur s'est "lâché" ou concentré.