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J’aime le web, pas les GAFAM (et les réacs)
lundi 26 mars 2018, par
Texte en réponse à Je déteste le web d’aujourd’hui
J’ai quelques remarques à faire sur ce texte qui a été pas mal partagé par les shaarlistes que je suis. Il me pose problème. Non pas que je ne sois pas d’accord avec l’idée principale qui est développée (le web c’était mieux avant est gangrené par les GAFAM) ; mais non seulement je trouve que l’auteur n’est pas très bien placé pour se poser en moralisateur, mais il prend par ailleurs certaines positions qui me gênent considérablement.
A song of straw and beam
Je n’ai pas tellement connu « le web d’hier », mais encore faut-il savoir de quoi on parle. Le « Web », c’est à dire le World Wide Web est né en 1989. Soyons raisonnablement fous, et considérons que le web « public » est apparu à partir de 1993, lorsque le CERN a décidé de libérer le code en le versant au domaine public. Notre héros avait donc 18 ans en 1993, il n’est effectivemment pas absurde de dire qu’il a connu les débuts du Web.
Pour ma part, je ne suis pas assez vieux ; disons que j’ai connu le web d’hier soir. Ou de ce matin. D’ailleurs c’est chaud, il est déjà midi 20. Mais cela m’a tout de même permis de connaitre la grande époque épique des pages perso moches, des GIF clignotants, de l’annuaire Yahoo... Et surtout, surtout, un monde sans Twitter, sans Facebook, sans Instagram. Etait-ce le paradis pour autant ? Non, c’était juste différent.
Moi aussi j’aime le web : ce réseau issu d’une sous-culture devenue mainstream, cette extension cybernétique de la vie, ce nouveau monde. [1] Le web est, a toujours été, et sera toujours un réseau « social », parce que c’est dans sa nature même ; le web n’a jamais eu pour objectif ultime de connecter des machines, mais de permettre aux humain·e·s qui étaient derrière de communiquer.
Aujourd’hui, il y a les GAFAM. Que dire qui n’ait pas déjà été écrit à ce sujet ? Seulement, c’est bien joli de déplorer les « formulaires d’inscription », les « putain de pop up pour s’inscrire à sa newsletter », la monétisation et la course à la visiblité. Mais écrire ça d’une main légère, prétendre « craquer » à cause des GAFAM, de la publicité et de « l’individualisme », et feindre d’oublier que son propre site utilise Tumblr, Google analytics, Youtube, et les fontes Google ; qu’il est lié à un compte Twitter, un compte Facebook, un compte Instagram, un compte Google + et qu’il propose lui aussi une newsletter...
Bullshit is coming
Admettons que ce soit un problème de mise à distance, que l’on soit véritablement obligé d’utiliser « l’anneau de Sauron » pour acquérir de la visibilitay ; il est indécent de prétendre « craquer » sur les GAFAM et jouer leur jeu à fond comme il le fait.
Le Web ne se réduit pas aux GAFAM, le Web ne se réduit pas à Facebook, et Facebook n’est pas le Web ; OSEF que Zuckerberg ne soit pas Aaron Swartz. Ce ne sont pas les GAFAM qui ont tué Aaron Swartz, ce sont les poursuites excessives et inutiles d’un procureur trop zélé. Et, par extension, la propriété intellectuelle. Aaron Swartz, qui est la preuve par l’atoce que non, le web n’est pas « guidé par le profit ». Lui, était un « hacker-activiste de la liberté », et il ne s’est pas « pli[é] aux règles édictées par les GAFAM », bien au contraire : il a contribué à développer des outils pour conserver aux internautes leur liberté. Aaron était de la race de ceux qui ont construit le Web, qui le construisent encore : les inventeurs, les bidouilleurs, les contourneurs de règlement.
Il n’était pas juste un petit blogueur chouineur qui devait « trouver son public ». Il n’a rien demandé, « le public ». C’est toi, c’est lui, c’est nous tous, « le public ». Si tu as un blog en 2018, et que tu n’as pas encore compris ça, alors... c’est que les GAFAM ont gagné. Ce sont eux qui ont rendu normale cette course à la visibilité, au ranking ; cette joie malsaine du classement, et de c’est kiki a le plus de commentaires, et c’est kiki a le plus de visiteurs, et c’est kiki a le plus de like, et de retweets, et de petits shoots de dopamine pour soigner son ego malade.
Je ne suis pas réac mais en fait si
La pire phrase de cette loghorée pour moi, c’est celle-ci :
Les GAFAM ont perverti la façon dont on pratique le web : l’individualisme, la mise en avant égoïste de ses contenus, les selfie, les youtubeurs, les bloggueuses mode, les instagrameuses, la recherche systématique du profit, les market place de tout, la pub à outrance et la visibilité payante.
C’est quoi cette histoire d’individualisme qui serait 1/ l’un des problèmes du web ; 2/ la faute des GAFAM ? L’individualisme, ce n’est pas la maladie du Web, c’est la maladie de la société, et les GAFAM n’y sont pour rien. Seulement ils participent au mouvement, par exemple en ne payant pas d’impôts dans les pays où ils sont implantés, problème que notre auteur balaye magnagnimement d’un revers de main : il « ne leur en veut pas » ; alors que c’est justement la pire incarnation du problème qu’il prétend dénoncer. C’est peut-être parce qu’il a l’impression que cela ne le concerne pas au premier chef...
C’est quoi cette « mise en avant égoïste des contenus » ? C’est assez drôle de la part de quelqu’un qui appelait ses lecteurs, quelques lignes plus haut, à venir écrire chez lui pour pas un rond, juste pour sa petite gloriole personnelle. (« chacun bricole son petit truc dans son coin en espérant gratter des parts de marché ou trouver la micro-niche dans laquelle il pourra devenir le site de référence, site qu’il monétisera ensuite avec de la pub et de l’affiliation. Rien que dans l’univers merveilleux du blog culturel, il se crée tous les jours des petits sites de niche alors qu’il serait si simple pour les chroniqueurs culturels de talent de venir faire des merveilles sur ton blog culturel préféré, contribuant ainsi à améliorer un projet désintéressé qui a su se faire une place depuis sept ans et qui n’a jamais vendu son âme. »)
Si c’est de l’humour, bah c’est pas drôle.
Et surtout, c’est quoi le problème avec « les bloggueuses mode, les instagrameuses » ? Alors si je comprend bien le raisonnement, dans la catégorie « problèmes », il y aurait donc les problèmes généraux tels que l’individualisme et la recherche du profit, et le problème particulier que posent les bloggueuses mode et les instagrameuses... juste par le fait qu’elles existent. J’ai l’impression que seule Alda l’a relevé.
« Je ne suis pas réac d’habitude mais je craque. »
Mais si mon gars, c’est exactement ce que tu es.
Comme le souligne assez justement l’un des commentateurs, il existe des outils pour se protéger et des intrusions de Google et consorts et des fientes qu’ils laissent sur nos écrans [2] :
[1] Il y aurait beaucoup à dire sur cette déclaration et son auteur, qui est certainement mal comprise, surtout avec notre point de vue d’européen : John P. Barlow, homme éminnement respectable, était un libertarien ; sa déclaration d’indépendance du Cyberespace était avant tout écrite contre le gouvernement des Etats-Unis.
[2] Et qui est le pigeon ? Je vous le donne en mille, Emile...
[3] j’ai aussi installé µMatrix mais je n’ai pas encore cherché comment on s’en sert.