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Et quand je ne joue pas... Cycle de l’Ekumen d’Ursula Le Guin

vendredi 27 décembre 2019, par Sammy

Alors je vais calmer tout de suite les Leguinophiles fanatiques, on est d’accord : ce n’est pas un « cycle », il n’y a pas de schéma d’ensemble, on n’assiste pas à la construction puis à la chute d’un empire, les récits peuvent se lire dans l’ordre que l’on veut. Mais j’ai choisi de conserver le terme de « cycle », d’abord parce que j’ai l’habitude de l’appeler comme ça, ensuite parce que ça claque, non ?

Mais de quoi parle t-on ? L’Ekumen, c’est un peu le grand œuvre d’Ursula Le Guin, dont je n’avais essentiellement lu jusqu’alors que le cycle (décidément...) de Terremer, que je vous recommande d’ailleurs vigoureusement au passage [1]. C’est de la SF, mais ce n’est pas « que » de la SF : un jour que je voulais présenter l’Ekumen à mon beau-père (après avoir lu Le Dit d’Aka), je lui ai résumé en disant que chacune des histoires avait son propre intérêt, présentant chacune une société différente, avec des cultures la plupart du temps diamétralement opposées. L’astuce, c’est que la plupart se situant sur des planètes éloignées les unes des autres de plusieurs années-lumière, l’auteure peut ainsi se permettre de placer ses récits dans n’importe quelle époque ou style, ça reste crédible.

On a souvent rapporté le fait que les parents d’Ursula Le Guin étaient des anthropologues réputés et, même s’il est ridicule de réduire les influences d’un écrivain à un seul élément, il est tout de même vrai que les notations anthropologiques sont souvent la base de ses histoires. Le nom du monde est forêt est une histoire sur le mythe et le monde du rêve (un peu à la façon des aborigènes australien), mais aussi sur l’écologie ; Le dit d’Aka est un récit sur la tradition, son intérêt et ses limites, dans un monde en pleine « révolution culturelle » ; La main gauche de la nuit est une histoire d’amour transcendant les frontières du genre [2]etc.

On pourrait d’ailleurs s’amuser à recenser tout ce qui fait d’Ursula K. Le Guin une écrivaine « progressiste » voire « féministe », même si je pense qu’elle aurait réfuté l’un et l’autre terme ; elle écrivait avant tout de bonnes histoires, et il se trouve qu’elles allaient souvent à l’encontre d’une certaine forme d’ordre établi : la figure de l’homme blanc y est rarissime, l’homosexualité et la bisexualité ne sont même pas normales, mais banales. Sur la planète O (Pêcheur de la mer intérieure), les mariages se font à quatre, avec deux paires d’hommes et de femmes, le tabou essentiel étant bien davantage celui de l’endogamie que celui du genre.

Comme dit plus haut, on peut lire les livres (des romans, des nouvelles, et des récits de taille intermédiaire) de l’Ekumen dans l’ordre que l’on désire, même si j’ai personnellement choisi de m’en tenir à l’ordre de publication du Cycle de l’Ekumen indiqué par Wikipédia. On devine malgré tout une chronologie interne, assez souple, à l’aide d’indices disséminés dans le récit, permettant de le resituer « avant » ou « après » ceux que l’on a déjà lu : avant ou après l’invention de l’ansible, avant ou après la Ligue de tous les mondes, etc. Je mets « avant » et « après » entre guillemets car, comme dit tout à l’heure, ces termes n’ont plus beaucoup de sens dans un univers où le voyage luminique d’un monde à l’autre, s’il ne prend que quelques « instants » non quantifiables pour le voyageur, dure bien souvent plus longtemps que la durée d’une vie humaine pour ceux qui sont restés sur leur planète...

Ainsi, les histoires d’Ursula Le Guin mêlent les aspects les plus « scientistes » de la SF (l’ansible, et peut-être le churten, sont la mise en application du concept d’intrication quantique) avec des récits tantôt proches de l’héroïc fantasy (enlevez toutes les références au vaisseau spatial du héros dans Le monde de Rocannon, et vous avez une épopée digne de Tolkien), tantôt teintées de post-apocalyptique (La cité des illusions), voire franchement politique (Les dépossédés).

Ursula K. Le Guin est une grande, très grande écrivaine, à classer dans vos lectures urgentes (pour autant que vous fassiez des listes de lecture [3]). Elle transcende de loin les domaines de la SF et de la fantasy : elle est universelle et indispensable ; de la littérature, tout simplement, avec un supplément d’âme apporté par son ouverture aux autres, à la diversité des mondes, des cultures et des expériences humaines.


[1Je me suis contenté de l’évoquer dans cet article, mais prenez la peine de plonger dans le monde de Terremer, vous me remercierez plus tard

[2le genre en tant qu’identité sexuelle, pas le genre littéraire de l’histoire d’amour !

[3Quoi ? Tout le monde ne fait pas ça ?