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Bolchoï Arena

vendredi 12 avril 2024, par Sammy

Si vous aimez la SF et la BD, et que vous n’avez pas peur d’abandonner les poncifs, vous allez adorer Bolchoï Arena, de Boulet (scénario) et Aseyn (dessin). Trois albums -de gros albums, de 160 pages chacun- sortis entre 2018 et 2022, et j’attends le 4ème nan mais oh, il sort quand, c’est pas possible de jouer avec les nerfs des gens comme ça ! Mais, ahem, je m’égare.

Imaginez un futur assez proche dans lequel internet, les jeux vidéo et les casques de réalité virtuelle auraient fusionnés. C’est à peu près ça, le Bolchoï. C’est plus qu’un monde virtuel, c’est un univers parallèle. Il s’appuie sur le nôtre (on nous explique qu’il s’appuie sur les « mathématiques génétiques »... pourquoi pas ?), et s’agrandit sans cesse, permettant de faire à peu près tout ce que l’on veut, de la construction façon Minecraft jusqu’à des combats dans un décor d’héroic fantasy ou des courses de pod à la Star Wars.

A la lecture, on ressent les influences plus ou moins marquées -en vrac- du manga, des jeux en ligne (y compris ceux qui n’existeront peut-être jamais, coucou Star Citizen), d’œuvres comme Ready Player One... Techniquement, Aseyn casse les codes de la SF : les tonalités pastel dominent, loin de l’ambiance clinquante à base de néons et lasers qui pourrait presque passer pour évidente tellement on y est habitués [1], pour aller presque vers du monochrome pour les scènes spatiales. Et ça marche super bien.

Entre conquête spatiale virtuelle et capitalisme bien terre à terre.

Mais l’idée au cœur de cette histoire, c’est un thème cher à Boulet : l’exploration spatiale. En la menant dans un univers parallèle, on a les joies de la découverte sans les désagréments de la vraie, bref, « une exploration spatiale placebo », comme le dit Boulet lui-même dans une interview.

Un jeu, le Bolchoï ? Oui et non. Et c’est très malin. Sans avoir l’air d’y toucher, Boulet et Aseyn ont glissé dans leur histoire un peu d’addiction, un peu de cyber-harcèlement, beaucoup d’emprise des multinationales. Parce que s’il est le lointain descendant d’internet, le Bolchoï en a embarqué tous les défauts, argent virtuel, profits bien réels et adversaires un pieds dans chaque monde.

Révélation (mais j’ai le cerveau lent)

Pour les deux premiers tomes, il s’agit en fait de ma deuxième lecture : je les avais déjà lu en 2021, et n’ai pu emprunter le tome 3 que ce mois-ci à la bibliothèque (à vrai dire, ça m’était un peu sorti de la tête). Seulement, lorsque je me suis demandé dès la première page « mais c’est qui Bogi déjà ? », j’ai compris qu’il fallait que je relise tout. Et c’était aussi bien comme ça.

C’est en-effet avec cette deuxième lecture que l’évidence m’est apparue : Boulet a cassé le syndrome Trinity, l’Élue est une femme. Et le fait de ne pas s’étaler sur la féminité de son héroïne, de ses héroïnes mêmes, de ne pas tomber dans le féminisme-washing, c’est super chouette. Je ne prolonge pas plus avant cette histoire d’élue, je laisse le plaisir de la découverte au nouveau lectorat. Disons qu’elle a toutes les caractéristique de l’Élue : une noob sans compétences particulières qui déchire tout alors que rien ne semblait l’y disposer.

Le réel et le virtuel sont brouillés...

Au-delà de ce premier constat, le Bolchoï peut aussi être vu comme une réflexion subtile sur l’apparence : sur le Bolchoï, personne ne sait que vous êtes une ado gothique. L’avatar des personnages se trouve ainsi être leur deuxième moi, voire leur moi de secours, donnant lieu à des sourires complice du lecteur lorsqu’il se rend compte qu’un géant biomécanique est petit dans le monde réel, que tel autre est d’un genre différent, ou que l’avatar du petit ami de Marje est un corgi ! Dans le monde réel, personne ne sait que tu es ce corgi qui parle...

Le Bolchoï n’est pas une illusion. C’est une construction. Les relations, les gens qui s’y trouvent sont bien réels. Ainsi que les émotions qu’on y ressent. La joie. L’humilité face à l’infini.

... mais ils vont se réconcilier, n’est ce pas ?

Je lance les paris : je subodore que le tome 4, voire le tome 5 soyons fous, iront plus loin dans l’explication du phénomène [2] affectant Marje. On saura alors si le Bolchoï est juste la plus grande simulation jamais inventée par l’humanité, une tragique erreur à supprimer, ou... autre chose.

Le Bolchoï est devenu une immense part de nos vies [...] nous explorons le monde des rêves.
...
Le Bolchoï est un rêve merveilleux mais il n’est qu’un rêve. De l’or de korrigan qui s’évapore au petit matin

Construction ou illusion, qui aura le dernier mot ?


[1c’est marrant, j’ai lu la même chose il y a peu pour les Dune de Denis Villeneuve. Sauf que le Bolchoï de Boulet et Aseyn est antérieur à ces films

[2non, non, je ne spoilerai pas