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Choisissez 20 livres qui sont restés avec vous ou vous ont influencé - Titres 1 à 5

mardi 22 octobre 2024, par Sammy

En septembre, je suis tombé dans un défi Mastodon sur les livres dont l’intitulé était le suivant :

Choisissez 20 livres qui sont restés avec vous ou vous ont influencé. Un livre par jour pendant 20 jours, sans ordre particulier.

Pour chaque livre choisi, j’ai vraiment essayé de penser non pas à mes livres préférés, mais littéralement, à ceux qui « sont restés avec moi », que je ne peux pas vendre ou donner, et qui m’ont influencés, marqués... Cela dit, ce sont souvent les mêmes.

Je reprends mes réponses sur le blog, pas tant pour en garder en trace, que parce que ça me permet de développer l’histoire derrière ces choix.

Cet article, pour des raisons de longueur, se limitera aux titres 1 à 5.

1/20 Chroniques martiennes de Ray Bradbury

Je ne sais plus si j’ai lu ce livre à la fin du collège ou au début du lycée. Dans les deux cas, ça date... Mon premier contact avec Bradbury, je m’en rappelle très nettement, c’était un recueil de nouvelles de la collection Librio, intitulé Celui qui attend, qui mettait en scène des histoires courtes se déroulant sur la planète Mars, mais pas seulement.

Les Chroniques martiennes sont construites sur la même base : chaque chapitre peut être lu comme une nouvelle indépendante ; lues les unes à la suite des autres, elles forment une histoire, racontée à travers ces multiples points de vue. Il y a des références (à Poe notamment, voir plus bas), de la poésie, et ce que l’on pourrait appeler un peu rapidement « des trucs de SF » de l’époque : des fusées, des robots, des martiens.

Le gros point fort de ce livre, outre son ton poétique et mélancolique, c’est qu’on peut l’ouvrir à n’importe quel chapitre pour lire une histoire courte, qui sera elle-même représentative de l’ensemble.

2/20 Fictions, de Jorge Luis Borges

Je me souviens avoir acheté ce livre dans une petite librairie en région parisienne, où le libraire ressemblait vaguement à Coluche. C’est d’un inintérêt assez abyssal, je m’en rends bien compte.

A titre personnel, je classe ce livre parmi les indispensables. C’est un recueil de nouvelles, qui sont pour ainsi dire plus borgesiennes que Borges lui-mêmes. Si vous n’aimez pas, vous saurez que ce n’est pas la peine de lire autre chose de cette auteur. Majoritairement fantastiques, certaines sont d’inspiration policière ou naturaliste, mais toutes restent profondément... borgesiennes. Des sites de référence vous parleront de labyrinthes, de miroirs et de tigres. Ils auront raison. Mais ce qui m’a frappé, dès la première lecture, c’est l’utilisation des verbes ou des épithètes :

C’est à la conjonction d’un miroir et d’une encyclopédie que je dois la découverte d’Uqbar. Le miroir inquiétait le fond d’un couloir d’une villa de la rue Gaona, à Ramos Mejia ; l’encyclopédie s’appelle fallacieusement The Anglo-American Cyclopœdia (New York, 1917).

ou bien :

Des nombreux problèmes qui exercèrent la téméraire perspicacité de Lönnrot, aucun ne fut aussi étrange - aussi rigoureusement étrange, dirons-nous - que la série périodique de meurtres qui culminèrent dans la propriété de Triste-Le-Roy, parmi l’interminable odeur des eucalyptus.

Bref, le style.

Je ne sais pas vous, mais le miroir qui inquiète le fond d’un couloir et l’odeur interminable, ça me pâme.

Outre le style, il y a le fond, sur lequel je ne vais pas m’appesantir : lisez-le. Mais sachez qu’après 20 ans de fréquentation de cette œuvre, je n’ai toujours pas réussi à décider si ces nouvelles n’avaient pas quelques liens secret qui les liaient les unes aux autres.

3/20 Belle du Seigneur, d’Albert Cohen

J’ai lu ce livre il y a longtemps, sans doute entre 2007 et 2010. Et depuis, je n’arrive pas à le remplacer sur le podium des mes livres préférés. Bien sûr, je découvre chaque année des livres supers, marquants, chouettes, drôles, éprouvants, mémorables ; des livres qui font rire et des livres qui font pleurer, mais aucun n’est tout ça à la fois.

Chaque fois que j’ai l’occasion de parler de ce livre, je le fais. Chaque fois que j’ai l’occasion de convaincre quelqu’un de le lire, je tente le coup. Il y a tout dans ce livre, et même son contraire : c’est une histoire d’amour, mais dans laquelle son auteur tourne en ridicule les affres de la passion ; c’est un livre extrêmement drôle, mais qui finit mal, et pas seulement parce que son histoire se passe pendant la montée du nazisme et les pogroms ; c’est merveilleusement écrit, mais Cohen invente sa propre langue, sa propre syntaxe, notamment pour transcrire le fil des pensées de ses personnages ; c’est un gros livre, mais qui aurait être encore plus gros si Gallimard avait laissé faire Cohen...

Vous trouverez dans ce livre la plus belle femme du monde, un grand séducteur, des juifs picaresques, un fonctionnaire tire-au-flanc, un oncle adorable qui roule avec une guimbarde dont même Lagaffe ne voudrait pas, des antisémites et une bourgeoise suisse aussi méchante que dévote.

Entre autres choses.

Bref, un livre extraordinaire.

4/20 Histoires extraordinaires et Nouvelles Histoires extraordinaires, d’Edgar Allan Poe (trad. C. Baudelaire)

Puisqu’on parle d’extraordinaire... En toute logique, j’aurais du mettre ce (double) titre en n°1, car ma découverte de Poe est antérieure à celle de Bradbury, et l’un de mes chapitres préféré des Chroniques martiennes est celui où il parodie Poe, notamment La Chute de la maison Usher et La barrique d’amontillado. Mais il ne m’est venu à l’esprit que le quatrième jour, ce qui veut sûrement dire quelque chose, qui tiendrait à une sorte d’irrévocabilité des trois premiers.

Là aussi, découvert jeune, histoires courtes, lu et relu. Avec la double difficulté du style un peu plus ancien, compliqué par la traduction approximative de Baudelaire, et l’affreuse réputation que l’on fit à Poe après sa mort : il aurait été alcoolique, dépressif, nécrophile et j’en passe. Alors que c’était un grand satiriste que j’imagine bien en train de rigoler comme un bossu en écrivant une de ses histoires exagérément affreuses.

Car il y a un malentendu dans la réception de Poe et dans la pérennité de sa popularité : depuis Baudelaire, qui a du voir en lui une sorte d’alter-ego symboliste, jusqu’aux lecteurs modernes, abusés par cette légende noire, il passe assez facilement pour une sorte de poète maudit américain, l’Amy Winehouse des contes fantastiques, alors qu’il a écrit la plupart de ces contes pour prendre le contre-pied (dans le jargon littéraire on dit « se foutre de la gueule ») des histoires en vogue à l’époque.

Les Histoires extraordinaires de Poe, c’est l’équivalent américain du Don Quichotte de Cervantès : la parodie est devenue plus connue que le modèle qui l’a inspirée.

5/20 Inconnu à cette adresse, de Kressmann Taylor

Par-rapport aux précédents, ce livre là est très court, et je l’ai lu plus récemment. Mais il m’a laissé une impression suffisamment profonde et durable pour qu’il me vienne très vite en tête lorsqu’après le 3ème jour, j’ai du réfléchir aux « livres qui m’ont influencés ».

C’est une correspondance entre deux amis, marchands d’art associés, à partir de 1932. L’un est juif, et part s’installer aux USA. L’autre reste en Allemagne, et va adhérer progressivement à l’idéologie nazie.

C’est difficile de ne pas trop en dévoiler avec un livre aussi court, d’autant qu’il n’y a pas de gras, qu’aucun mot n’est inutile et que tout fait sens. Disons que les lettres entre les deux amis vont progressivement s’espacer, et changer de ton.

Inconnu à cette adresse est un chef d’œuvre, qui démontre par sa seule existence que ce n’est pas le nombre de pages qui fait l’œuvre, mais bien sa qualité intrinsèque. Enlever ou modifier un seul mot de ce livre est impensable, tant cette nouvelle épistolaire est parfaite.

Kressmann Taylor, de son vrai nom Kathrine Kressmann Taylor, a écrit cette nouvelle en 1938. Retenez bien cette date, et repensez-y lorsque vous aurez lu le livre. C’est parce que son éditeur -et son mari- ont jugés que personne ne croirait qu’une telle œuvre pouvait avoir été écrite par une femme qu’elle a du masculiniser son nom...