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Les veufs noirs

mardi 22 avril 2014, par Sammy

A la fin de l’année dernière, après tout un cycle de lecture consacré à son cycle des robots, je n’ai pas voulu quitter Asimov, et ai directement enchaîné avec la série complète des veufs noirs.

Qu’est ce que les veufs noirs ? Présentons d’abord brièvement la genèse de l’oeuvre. Quand Asimov avait un peu de temps devant lui [1], il écrivait de petits récits policiers basés sur une énigme, et les envoyait à différents magazines. Quand il en eut publiés suffisamment, il en fit un recueil. Devant le succès, il fit une suite. Puis une autre. Et encore une autre. Et une dernière pour la route. [2]

Certes, mais tu ne nous as toujours pas dit qui sont ces fameux veufs noirs, se dit le lecteur impatient. J’y viens, j’y viens. Les veufs noirs, ce sont des hommes qui se réunissent tous les mois sans leurs femmes pour faire un bon gueuleton entre mecs. Si, si, c’est juste ça. Tous les mois, un membre différent du « club » est chargé, non seulement de régaler ses confrères, mais aussi de trouver un invité intéressant [3]. Et comme il s’est trouvé que les premiers invités avaient chacun une énigme à soumettre à la sagacité de nos fins gourmets, ce qui n’était au commencement qu’une coïncidence s’est transformé, malgré les protestations de certains membres, en obligation au fil des réunions.

C’est tout ? Non ! Le détail qui fait toute la saveur de ces récits où l’on sent planer l’ombre de Miss Marple, c’est que nos gastronomes aux idées courtes ne trouvent jamais la solution des énigmes. Celles-ci sont systématiquement résolues par Henry, le discret, attentif et flegmatique maître d’hôtel. [4]

Boris Kustodiev, Restaurant à Moscou
Œuvre dans le domaine public.

Henry est-il une résurgence des robots asimovien ? Je me suis plu à l’imaginer, car à bien y regarder, il se comporte comme un robot d’Asimov : il n’intervient que quand il y est expressément autorisé, n’agit que dans le cadre strict de ses prérogatives, et toujours pour aller dans le sens du respect de la loi et de l’honnêteté la plus stricte. Si R. Daneel Olivaw est un robot qui pense comme un humain, Henry est un humain qui se comporte un peu comme un robot...

Asimov le scientifique se pose bien évidement dans ces nouvelles comme un maître du scepticisme ; il détourne notamment la fameuse phase de Sherlock Holmes [5] pour en faire une maxime rationaliste : « Si une fois que tout ce qui est impossible a été éliminé, ce qui reste est surnaturel, alors quelqu’un ment ».

On sent d’ailleurs qu’il s’amuse beaucoup avec ses petites énigmes. Les personnages caricaturent (fort peu, de son propre aveu) de siens amis, et il se met en scène (dans le rôle de l’invité) dans une des nouvelles, après s’être déjà cité dans une autre (Ce qu’il montrait du doigt) : « Un écrivain de science-fiction qui est d’une vanité pathologique. [...] la Columbia Encyclopedia a un excellent article là-dessus [le mot »concret« ] seulement 249 pages après l’article qu’ils ont fait sur moi ». [6]

Il est fascinant de voir comment à 30 ans d’intervalle, des thématiques se télescopent : il est déjà question de guerre contre le terrorisme, d’otages, des méthodes pas toujours licites employées par le gouvernement pour protéger les citoyens, et du point jusqu’où il peut, ou doit, aller. Déjà, Asimov se posait la question du droit à la vie privée devant les exigences de la « sûreté nationale » : « Nous vivons dans un monde où la vie privée n’existe pas » ( Puzzles au club des veufs noirs, 1990). Dans le même genre, je crois avoir repéré une référence à Thoreau : « Si on tient compte de ce qui engloutit la plus grosse part du budget fédéral, on peut à bon droit soutenir que le vrai patriote, c’est celui qui va en prison plutôt que de payer ses impôts. »

Je me sens un peu triste désormais. Comme à chaque fois qu’un bon souvenir de lecture est derrière moi. Ma consolation ? Espérer que j’aurais réussi à convaincre quelques personnes de le lire ! ;)


[1Et là, toute personne normalement constituée doit se demander « Diantre, mais comment faisait-il ? » Moi non plus, je ne sais pas.

[2Voici la succession complète des titres : Le club des veufs noirs, Retour au club des veufs noirs, Casse-tête au club des veufs noirs, A table avec les veufs noirs, Puzzles au club des veufs noirs.

[3Non ! Ce n’est pas un dîner de con !

[4Source de l’image : Le restaurant, Boris Kustodiev

[5C’est dans Le signe des quatre : « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, aussi improbable que cela paraisse, doit être la vérité. » Asimov consacre d’ailleurs explicitement l’un des récits à l’univers de Sherlock Holmes.

[6Concernant ce récit, je suis assez fier d’avoir deviné la solution avant de la lire. :)