"Quand j'ai écouté l'enregistrement [de Naomi Musenga et de l'agente du Samu], ça m'a frappée parce que c'est quelque chose que j'ai connu. Le ton qui était utilisé, c'est un ton que j'ai déjà entendu", témoigne de son côté Karima*, la quarantaine. Elle aussi estime avoir été victime de préjugés racistes de la part des médecins. "Celles-là, elles en font toujours trop", s'entend-elle répondre, à 18 ans, le jour où elle se plaint de fortes douleurs auprès d'un infirmier qui procédait à une injection. Plus tard, lorsqu'elle se présente "zen et détendue" à la clinique le jour de son accouchement, "le gars de l'accueil se met à rire et dit que je suis bien calme parce que 'd'habitude, les gens comme vous se roulent par terre'".
On commence enfin à faire le le lien entre le racisme et la mort de Naomi Musenga.
Il était temps.
Mais, pas un mot donc sur les centaines de problèmes de prises en charge dans les centres hospitaliers. Car, non il ne s’agit pas d’un « cas isolé ». Et ils sont souvent en lien avec les conditions de travail dégradées de l’ensemble du personnel médical et principalement des employés les moins diplômés – et payés - comme les assistants de régulation médicale dont faisait partie l’interlocutrice du Samu. Une façon de remettre la faute uniquement sur l’employée, se dédouanant eux-mêmes de toute responsabilité et d’étouffer la réalité et l’ampleur de la crise que connait le service public hospitalier.
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Ce mercredi à la radio, des employés du Samu, des médecins urgentistes, racontaient leurs conditions de travail et celles des assistants de régulation médicales. Comme dans d’autres secteurs, ce qui ressort, sans surprise, c’est le récit des conditions de travail dégradées des assistants de régulation médicales : manque d’effectifs avec de plus en plus d’appels, un personnel peu formé, des contrats précaires, un emploi dévalué et mal payé. Des conditions qui favorisent la lassitude, l’agacement, l’arbitraire, les erreurs et les discriminations sexistes et racistes.
Ce n'est pas juste la faille d'une seule personne, ce genre de système est fait JUSTEMENT pour qu'une seule personne ne puisse pas le mettre en défaut.
Il y a un manque criant de moyens depuis des années partout dans le domaine de la santé. Se focaliser sur les conneries d'une personne empêche de le voir. La brûler sur la place publique n'améliorera pas les choses. Ça soulagera les personnes qui veulent juste avoir bonne conscience, mais ça ne changera rien à la situation.
Pour finir, vous savez à quoi ça me fait penser, moi, sa réaction à l'opératrice, pour l'avoir vu trop de fois ? À une salariée qui n'en peut plus des conditions dans lesquelles elle exerce son métier. C'est la réaction, profondément humaine n'en déplaise à certain⋅e⋅s, de quelqu'un dont le cerveau n'arrive plus à suivre, c'est un mécanisme de défense, de prise de distance par rapport à son environnement.
Cette opératrice, cet événement tragique, c'est l'exemple concret de la destruction organisée de notre système de santé, c'est le résultat de dizaines d'années de détricotages de notre service publique par des politiques qui veulent le privatiser, à coups de "réformes pour que ça marche mieux". Vous avez vraiment l'impression que ça marche mieux, là ?
Il faut une ou plusieurs semaines pour avoir rendez-vous avec sa/son toubib, qui elle/lui même croule sous le boulot (qu'il soit médical ou administratif), et donc on a un déplacement des consultations vers les services d'urgence (urgences à l'hôpital, SAMU, etc.) dont on n'augmente pas les moyens ni les effectifs et qui doivent donc gérer comme ils peuvent de plus en plus d'appel, pour beaucoup injustifiés mais qu'il faut quand même qualifier. Rajoutez à ça la surcharge des fêtes de fin d'année (parce que l'appel date du 29 Décembre hein) et vous avez là le cocktail parfait pour des situations catastrophiques du même calibre. Les témoignages de personnes qu'on peut voir fleurir suite à ce drame en sont bien la preuve.
Pas mieux.
Alors je vais quand même le dire, il y a truc qui me gêne considérablement dans cette histoire, au-delà même de la dégradation du service public hospitalier, au-delà du fait que tout le monde peut comettre une erreur d'appréciation, même un médecin, et que je n'ai pas écrit dans mon premier shaare sur le sujet, et que je m'étonne de ne pas voir encore abordé : quelle est, exactement, la part du racisme dans cette histoire ? Dans quelle mesure, si l'appelant avait été blanc, et voire même homme, aurait-il été davantage pris au sérieux ?
On a détruit le service public hospitalier - dont le SAMU donc- et des gens en meurent ? Comme c'est surprenant.
"Dans les centres, il faut jongler entre les appels 'sérieux' et ceux qui ne le sont pas", poursuit Patrick Pelloux. "On a des soignants épuisés, stressés, en burn-out, qui deviennent détachés de la souffrance du patient. Quand vous avez 100 appels pour une douleur thoracique, parfois, sur le 101e, vous flanchez."