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Le Maître de Ballantrae ou la beauté du diable

mercredi 20 août 2014, par Sammy

Quelques mots sur le roman dont je viens d’achever la lecture, Le Maître de Ballantrae, de Robert Louis Stevenson. Je le précise, car ce n’est pas forcément ce titre qui vient spontanément à l’esprit quand on pense à lui. J’aime beaucoup Stevenson, et j’ai plus ou moins confusément décidé de lire toutes ses œuvres. C’est une initiative heureuse, dans la mesure où il serait dommage de le réduire à l’auteur de L’île au trésor ou de Dr Jekyll & Mr Hyde, et surtout parce qu’il est un conteur exceptionnel.

Le Maître de Ballantrae est un roman d’aventures, mais pas seulement. L’histoire se déroule entre 1745 et 1765, entre l’Écosse et l’Amérique, avec des incursions en Inde. Il s’agit d’une rivalité entre deux frères, naissant dans le contexte de la rébellion jacobite de 1745, épisode de l’histoire anglo-écossaise dont j’ignorais totalement l’existence. Le frère aîné, le « Maître de Ballantrae » abandonne (en jouant son destin à pile ou face) son titre, sa fortune et sa promise pour rejoindre la rébellion ; mais l’aventure se terminera rapidement avec le désastre de Culloden à la suite duquel il est réputé mort.

La bataille de Culloden

Le génie de Stevenson c’est de ne faire qu’esquisser ses descriptions. On aurait presque envie que chaque chapitre fasse l’objet d’un livre à part entière ; c’est comme si Stevenson nous offrait un catalogue de ce dont il est capable : un peu de roman psychologique, un bout d’histoire avec des pirates, un passage chez les indiens, une évocation de l’Inde, un trésor caché... Car l’Écosse, le contexte historique, les manoirs écossais dans la brume, les pirates et l’Amérique sauvage ne sont pour Stevenson qu’une toile de fond devant laquelle il pose ses personnages.

Son propos est ailleurs. Il livre un roman étonnamment moderne, avec des changements de narrateur et surtout, un fascinant type de héros sombre à travers le personnage du Maître. Car s’il est présenté tout au long du récit comme étant le méchant, il possède tous les attributs du héros romantique : beau, élégant, charismatique ; c’est un séducteur capable de susciter l’admiration y compris chez ceux qui le détestent le plus. [1] Hollywood ne s’y est pas trompé, qui a fait du Maître de Ballantrae un héros courageux trahi par son frère à la solde des anglais. Et même s’il semble ne pas être le personnage principal du livre, tout s’articule autour de lui, il est le moteur de l’action. Les événements surviennent à cause de lui. Les autres ne font que graviter autour de lui ou subir sa funeste volonté.

Il y aurait une étude intéressante à faire, consistant à relever toutes les occurrences où le personnage du Maître est associé à un terme relevant du champ sémantique du diable : le diable était de la partie, ce serait bien le diable si... Tout au long du roman, les épithètes rappelant le diable tournent à quelques mots de lui, sans le qualifier directement, mais toujours une action, un lieu, une circonstance, comme si Stevenson voulait attirer le regard de son lecteur sur la personnalité profonde de son anti-héros.

Six ans après la publication de L’Île au trésor et trois ans après celle de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde qui sont, chacun dans leur domaine, des archétypes, est-ce bien étonnant que l’on retrouve des éléments de l’un et de l’autre fondus dans les aventures du Maître ? Au fond, les deux frères incarnent les deux types de personnalité les plus antagonistes qui soient : l’un est flamboyant, grandiosement maléfique et parait immortel [2] ; l’autre est besogneux, parait plus porté par les événements qu’il n’influe sur eux et n’acquiert de la force de décision qu’à travers la haine qu’il voue à son frère, haine qui les tuera l’un et l’autre à la fin. [3]


Désolé pour le spoil ! Que cela ne vous empêche pas de lire ce roman. C’est comme Titanic de James Cameron : ne me faites pas croire que vous ne saviez pas que le bateau allait couler ! ;)


[1Voici ce que dit de lui, à quelques pages de la fin du roman, Mac Kellar, intendant du domaine de son frère, avouant ainsi avoir été séduit malgré lui : « Voilà vingt ans que je le connais, et toujours je l’ai détesté, toujours je l’ai admiré, toujours je l’ai redouté servilement. »

[2A chaque fois qu’il passe pour mort, il revient toujours ; quand il mourra pour de bon, ce sera en même temps que son frère...

[3Fin qui est, pour reprendre le mot de Jean Echenoz « splendidement mal foutue », voire invraisemblable.