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Petits voyages à la fin du monde

mercredi 27 mars 2024, par Sammy

Après trois Annie Ernaux à la suite, il fallait que je change un peu de style et d’ambiance. Question ambiance, je n’ai pas été déçu.

Robert Silverberg : Destination fin du monde

Avec la nouvelle Destination fin du monde de Robert Silverberg, on reste dans le format court. Dans un avenir indéterminé (mais qui ressemble furieusement à notre époque), la dernière mode pour les plus fortunés est de se payer un voyage (temporel) pour la fin du monde. Quelques couples friqués se racontent les uns aux autres leur « voyage », durant lequel les uns auront vu mourir le dernier être vivant, les autres disparaître la dernière terre immergée, etc. et ne remarquent pas (ou feignent de l’ignorer) l’avalanche de nouvelles apocalyptiques déversée par la télévision... tout au plus certains regrettent-ils de ne pas avoir été les seuls ou les premiers à faire ce voyage. La notice à la suite de l’histoire est au moins aussi longue que la nouvelle et permet de comprendre le contexte dans lequel elle a été écrite (1972). Cette histoire d’effondrement résonne peut-être avec plus d’acuité aujourd’hui qu’il y a 50 ans.

Geoffrey Le Guilcher : La pierre jaune

On continue dans la thématique fin du monde, mais version réaliste, en tout cas présentée comme telle, avec un roman qui se présente comme étant la réponse fictionnelle à une question réelle [1] : que se passerait-il si un avion de ligne s’écrasait sur l’usine de La Hague ?

La Hague, pour ceux qui l’ignoreraient encore, est une usine de traitement du combustible nucléaire usagé ; de facto, c’est la plus grande poubelle à déchets nucléaires du monde. Une étude remise au Parlement européen peu après les attentats du 11 septembre 2001, estimait qu’un accident majeur, tel un crash d’avion de ligne sur une seule des piscines de refroidissement de la Hague, pourrait conduire à un relâchement de césium soixante fois plus important que lors de la catastrophe de Tchernobyl. Devant l’ampleur du problème... on a finalement décidé que ce serait juste 7 fois plus important.

Le livre est construit autour du personnage de Jack Banks [2], un policier anglais missionné par la police française pour infiltrer les milieux anarchistes-écolo-anticapitalistes à cheveux longs [3]. L’attentat se produit alors qu’il vient de s’intégrer à un groupe breton.

Ce livre est proprement terrifiant.

Prenez ce que vous savez de Tchernobyl, multipliez par 7... Non, attendez, vous n’y êtes pas. Prenez le temps de faire une pause dans votre tête : Tchernobyl a contaminé 23% du territoire biélorusse [4]. Maintenant, multipliez par 7.

Ça y est, vous avez un peu peur ? On continue. Prenez donc un Tchernobyl x 7 tout au bout du Cotentin, et le même gouvernement que celui qui a géré le Covid. A ce stade, soit vous êtes en larmes, soit votre cerveau s’est mis en sécurité. S’entremêlent alors communiqués du Préfet, cacophonie gouvernementale, zonage imbitable et décisions contradictoires : enfermez-vous chez vous et fuyez le plus vite possible. J’en retiendrai quelques images de pure épouvante, des irradiés au dernier degré se décomposant en arrivant aux urgences et des types cramés par des pluies acides.

Mais là où on s’attend à la description de l’avancée de la catastrophe, ses conséquences sur la France et l’Angleterre, puis sur toute l’Europe, les bouleversements géopolitiques qui s’ensuivent, la tragédie de millions de réfugiés nucléaires et la ribambelle de morts atroces, le roman se focalise sur Jack. Le policier infiltré. Et ça fout tout par terre. Au lieu de nous faire flipper notre race à grands coups d’Hiroshima c’était de la rigolade et Tchernobyl c’est des petits joueurs, l’auteur donne l’impression de se laisser entraîner par son personnage principal dans une histoire cousue de fil blanc et hyper-prévisible de flic infiltré gagné par la cause de ceux qu’il est censé aider à arrêter. Et c’est d’autant plus décevant que le début nous le présente comme un parfait connard, ce qui semblait promettre quelques grands moments. Mais finalement non. Et c’est dommage au vu de l’impressionnant travail documentaire de l’auteur, qui sous-tend tous les passages dans lesquels il décrit les conséquences de la catastrophe.

Ainsi, au lieu de nous brosser le panorama d’une France ravagée, l’auteur se focalise sur la survie d’un petit groupe de bretons têtus (pardon pour le pléonasme) accrochés à leur presqu’île, distillant au passage quelques conseils de survie en zone contaminée, mais guère plus. Il y a bien quelques moments de bravoure, entre la profanation de la sépulture de Pierre Messmer et la dénonciation de militaires violeurs, mais on a quand même l’impression d’un hors-sujet. C’eût été une rédaction, l’élève Le Guilcher n’aurait pas eu la moyenne. Mais comme il s’agit d’un roman et que le romancier est maître chez lui -et qu’il a réussi à me tenir éveillé une partie de la nuit- on lui pardonne cet écart. Parce que si les atermoiements d’un flic infiltré nous approchent davantage du synopsis d’Avatar, la fin épique en moins, que de la série Chernobyl, il faut bien reconnaître que le gaillard connait son affaire et sait nous tenir en haleine -en éveil me concernant- du début à la fin.


Juste après ce livre, j’ai tenté de lire de La supplication (sous-titre : Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse) de Svetlana Alexievitch. Curieusement, je n’y suis pas arrivé.


[1le gouvernement français se l’est en tout état de cause publiquement posée en septembre 2001

[2inspiré d’un infiltré réel

[3parce que les policiers français ne savent pas faire, ou ne veulent pas, ou n’ont pas le droit... je n’ai pas vérifié, mais admettons.

[450 000 km², à la louche